Designer de l’essentiel
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Écrit par Laurent Rojot, @laurentrojot
À seulement 27 ans, le designer bordelais maîtrise la création, la fabrication et la communication dans l’univers de plus en plus compétitif du design. Avec en prime un style et une philosophie de travail bien ancrée.
Maxime Lis est né à Albertville le 14 mai 1992 à 8h25, dans la Cité Olympique.
Une arrivée éclairée par la flamme dessinée par Philippe Starck. Un signe ?
Un grand-père menuisier, dont il fréquentait déjà avec curiosité l’atelier, le guide après son bac pro vers un BTS développement et réalisation bois à Annecy. Il poursuit à Chambéry en intégrant l’ENAAI (Enseignement aux Arts Appliqués et à l’Image). « Une école privée, dont je loue l’enseignement très militaire, nous apprenant à exploiter notre temps du lundi 7h au dimanche minuit ». explique-t-il. Puis il s’installe à Bordeaux, menant de front un BTS design produit et les Beaux-Arts, section dessin.
Première distinction : l’année suivant l’obtention de son dernier diplôme (2014), il fait partie des cinq sélectionnés pour le concours Coffee Cup Porcelaine de Limoges. Il ne sera pas lauréat car sa tasse ne répond pas au cahier des charges : elle n’a pas d’anse, ni de soucoupe d’ailleurs. Et pour cause ! Comme à son habitude – et l’on va y revenir – il a complètement repensé l’objet en éliminant le superflu. Il aura tout de même gagné une résidence lui permettant d’expérimenter dans les usines (il adore se frotter aux techniques existantes pour augmenter son répertoire d’utilisations détournées et optimisées). Sa tasse est aujourd’hui commercialisée par Esprit Porcelaine, une maison d’édition associative.
Monsieur Lis, via sa société Studio 300%, vole aujourd’hui de ses propres ailes, happé par une dynamique frénésie. Rien qu’en ce qui concerne les objets, on lui doit déjà une planche de skate revisitée en tiges de métal, un bougeoir en tôle d’acier à mettre en volume soi-même, des chaises, des tables, des verres à shot sablés, un chausse pied, un vase équilibriste stockeur d’eau (qui vous alerte s’il en manque), un chinois-étamine, une carafe, des couverts…
Il travaille en ce moment sur la conception d’un stand pour une marque de cosmétique aux Galeries Lafayette Haussmann, avec le défi de la déclinaison en France et à l’étranger, vient d’installer une suspension sculpturale dans le hall d’un bâtiment, peaufine une adaptation de sa carafe pour Alessi…
Et il n’est pas près de s’arrêter…
UNE NOUVELLE SIGNATURE
2014 encore : Maxime Lis pense un fauteuil, mais un fauteuil en métal, alors qu’il a étudié le bois. Il demande des devis à droite à gauche, et notamment à Jean-François Buisson, artiste sculpteur métallier très connu à Bordeaux.
Buisson aime le fauteuil et déclare à Maxime : « Mec, je ne te fais pas de devis. Je t’achète le métal, tu viens bosser là et tu te le fais ». Maxime aura finalement son espace dans l’atelier de Buisson pendant quatre ans. Et le FFP3 (pour Fauteuil en Fer Plat 3 m) a vu le jour.
Maxime et Jean-François s’entendent bien, si bien qu’il leur arrive de partager quelques verres. C’est lors de l’une de ces soirées que Maxime va avoir une révélation. Par curiosité joueuse, il pose ses pieds sur une plaque de métal chauffée par un chalumeau industriel. Ses semelles fondent et ses pieds s’enfoncent dans le métal. Et là ça tilte : Maxime teste le gros chalumeau sur du pin des Landes. Le bois se calcine par strates, se déstructure en surface et les composés organiques du résineux se mettent en ébullition pour au final former une surcouche protectrice. Maxime cherchait depuis un moment une alternative aux traitements de finitions habituels du bois (vernis, patines, cires) : il a maintenant la solution, sa solution, qu’il peaufinera pendant six mois, se rapprochant sans l’imiter – car ce n’est pas qu’un brûlage de surface – de la technique japonaise du shou-sugi-ban, qui consiste à brûler le bois d’un côté pour le protéger.
Le bonus : au-delà de la fonctionnalité du process, l’aspect esthétique du rendu plaît. Maxime en fait des tables, des sculptures, révélant la matière sous un nouveau jour.
ELIMINER LE SUPERFLU
Fort d’une capacité de création déjà louable, le jeune designer sait aussi prendre du recul pour analyser son travail, ses expériences, afin de formaliser par écrit sa vision du design. Il crée son manifeste : l’acte minimum (« ce qui me fait me lever le matin »). « L’acte minimum met au centre l’efficacité de production (simplification et rationalisation) et place naturellement la forme comme conclusion d’un propos technique et économique. » Il s’agit pour Maxime de repenser chaque fois l’objet de l’objet, de revenir au besoin originel en faisant abstraction de la conception habituelle de la chose.
Reformuler autrement, au présent, sans s’enliser dans les acquis.
Du minimalisme opérationnel. Du bon sens exacerbé. « Surtout quand il s’agit d’objets qui ne me plaisent plus, car on y est tellement habitués qu’on ne sait pas les voir autrement. C’est presque un amusement. »
Son chausse pied (pour Timberland) ne ressemble pas à un chausse-pied. Il aimerait réimaginer le parapluie, le rendre plus simple d’utilisation… la recherche est lancée.
« On a des sonnettes d’alarme écologiques, politiques, environnementales, sociétales ; j’en suis récepteur et dois les intégrer dans mes productions en me disant ‘vas-y, donne une réponse à ça’ » … en éliminant le superflu dans les traitements, en limitant les pertes de matières.
Penser juste, dans les deux sens du terme. « L’acte minimum est un objectif. Ou comment dépenser au mieux notre énergie, que ce soit pour le concepteur ou l’utilisateur ? »
Un service marketing n’aurait pas fait mieux : cet acte minimum devient une plateforme de communication, nécessaire pour se rendre légitime à son âge, répondant au besoin de dégager une forme d’assurance.
Et rien n’est laissé au hasard : la moindre esquisse est datée et tamponnée (« la dimension exagérée de mon crayon permet de rester raisonné et de ne pas saturer la forme : maximal pen for minimal shape »), le discours est parfaitement maîtrisé, le look est pensé.
PARÉ POUR L’AVENIR
Maxime a la vocation, mais aussi le sens du business, avec un plan d’action en quatre axes complémentaires.
Sa première rencontre avec un éditeur s’est produite en 2018 avec Airborne (maison d’édition française du début des années 50, plusieurs fois liquidée et rachetée, repartant de plus belle aujourd’hui), qui décide d’éditer sa chaise à trois pied, gracile et brute à la fois, la complétant avec une table et une collection complète.
La relation s’est développée pour devenir amicale, « presque familiale ».
Maxime en a rencontré beaucoup d’autres, mais pas avec le même niveau d’échange et de partage. Il préfère donc concentrer son enthousiasme sur Airborne et, en parallèle, nouer quelques collaborations avec deux ou trois autres maisons seulement, qui ne soient pas dans la grande distribution et qui conduisent à des galeries. « Je vais avoir quelques copains d’édition, mais je n’aurai qu’un ami d’édition. »
Maxime va s’inscrire à la Maison des Artistes pour répondre aux commandes sculpturales, sans fonction, et surtout, lancer sa propre maison d’édition avec Sarah Morelli (elle sort des Beaux Arts). Il compte d’ailleurs la retrouver au Japon afin de « partager à deux le plaisir d’expérimenter les choses élémentaires et essentielles, à l’image du couple Eames ».
« J’ai déjà mon atelier à la Maison Jaune de Bègles, une ancienne usine reconvertie en bureaux pour start-ups et maison d’artistes et artisan, et trois soutiens financiers. (presque du mécénat ; des clients fidélisés prêts à encourager le projet), qui vont me permettre de faire éclore mon projet. »
De quoi faire ce qui lui plaît : « continuer à rencontrer la matière en permanence et pouvoir se dire, que si j’ai envie de produire cet objet, je le peux ».
Décloisonner !
L’une des passions de Maxime : trouver de nouveaux potentiels en confrontant techniques et matériaux : « les secteurs industriels sont souvent cloisonnés, oeillérés. Le milieu du métal, avance, le milieu du bois avance, mais dans des tunnels. Le rôle du designer, c’est de faire converger, en prenant une certaine distance. D’un acquis, trouver un autre usage, sur d’autres matières. »
Instagram : @maxime_lis
L’acte minimum est un objectif. Ou comment dépenser au mieux notre énergie, que ce soit pour le concepteur ou l’utilisateur ?
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