Maître-parfumeur
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Écrit par Julie De Los Rios,
Maître-parfumeur depuis 2008, originaire de Lausanne, Thierry Wasser représente la 5ème génération de parfumeurs depuis la création de la maison en 1828. Formé auprès de Givaudan et Firmenich, le Suisse a aussi signé des best-sellers comme Dior Addict, Hypnôse de Lancôme ou Fuel for Life for Her de Diesel.
Après un diplôme fédéral de botanique, j’ai rencontré un parfumeur de Givaudan (la plus grande entreprise mondiale du secteur des arômes et de la parfumerie. NDLR) et il faut croire que je lui ai tapé dans le « nez ». Il m’a proposé d’intégrer son école. Je n’avais pas particulièrement les qualités requises. Ça n’existe plus maintenant ce genre d’histoire. J’étais un peu là par hasard. Je m’interrogeais sur la parfumerie. Après l’obtention de mon diplôme en quatre ans puis une expérience d’assistant à Genève, je pars à Paris pour finalement aller m’installer dix ans à New York. De retour à Paris, j’ai commencé à travailler pour Guerlain. La maison cherchait le successeur de Jean-Paul Guerlain. J’ai été aussi honoré que surpris d’être choisi. Rien n’était planifié dans ma vie. Finalement, j’ai évolué un peu par hasard, au gré des rencontres.
Une création est forcément le reflet de l’individu qui la crée. C’est une vue de l’esprit mise dans un flacon. Des moments de ma vie, une conversation, un paysage, un voyage… L’inspiration est partout. Par exemple, quand j’ai créé Dior Addict, j’ai voulu reproduire le parfum de la reine de la nuit, le cactus nocturne, que j’avais découvert un soir en Jamaïque. J’ai voulu reconstruire cette fleur narcotique. En fait, pour créer, il faut être là. Bien là. Dans le présent. Pas à côté.
En choisir un est très difficile. C’est un peu comme si on vous demandait de choisir votre enfant préféré. Mais le plus personnel, c’est Idylle que j’ai créé pour Guerlain en 2009. Parce qu’il reflète un moment, un instant T dans ma vie. Ce n’est pas forcément un succès planétaire mais j’en suis fier. Il y a une sorte de naïveté touchante dans ce parfum qui était la mienne quand je suis arrivé en Irlande en 2008. J’aime aussi beaucoup Santal Royal dans Les Absolus d’Orient.
Pourquoi se parfume-t-on ? Pour soi avant tout. Pour se faire plaisir. Mais aussi pour affirmer un caractère. Le parfum est un ami invisible. C’est une manière de vous présenter aux autres. Personnellement, Habit Rouge, que je porte depuis mes 13 ans, est un déguisement de Superman. Quand j’étais ado, avec les problèmes d’estime de soi que l’on peut avoir à cet âge-là, c’était mon costume d’homme. Et je le porte encore aujourd’hui. Il est devenu moi. Un parfum c’est aussi une manière de s’inscrire dans la mémoire des autres.
C’est drôle, comme je travaille souvent deux ans à l’avance, j’ai oublié ! Mais chaque année, chez Guerlain, nous avons le rendez-vous des Aqua Allegoria, une sorte d’allégorie du jardin. Jean-Paul Guerlain adorait les jardins. Il y a une notion d’échappée dans une nature réelle ou imaginaire qui est extraordinaire à conceptualiser. J’aime les oppositions, créer des mouvements. Par exemple, le côté sombre du thé va donner un mouvement. Pour la collection L’Art et la Matière, j’ai voulu rendre hommage à Pierre Soulages et ses Outrenoirs, une expression de la matière mais avec une touche d’abstraction.
Depuis 1999, les fragrances fraîches de la collection Aqua Allegoria explorent de nouveaux jardins, réels ou imaginaires. C’est dans cette nature infinie que Thierry Wasser et Delphine Jelk, parfumeurs Guerlain, puisent leur inspiration. Cette année, Flora Salvaggia naît d’un accord de jasmin, de fleur d’oranger, de melon, de musc blanc, de violette et d’iris tandis que Nettare di Sole se veut délicieuse sans être gourmande. Magnolia, rose, jasmin Sambac se confrontent à l’insolence de la bergamote de Calabre, signature emblématique de l’Eau de Cologne (1853).
La crise sanitaire nous a mis dans un processus d’introspection et de réflexion. La solitude malgré la technologie. Se rencontrer, se toucher et même respirer ensemble est devenu mortel. Bien souvent, la parfumerie est la reproduction d’un état d’esprit sociologique. Dans les années 60, 70, les parfums reflétaient la libération des mœurs. Dans les années 80, nous étions dans la puissance avec la montée des couturiers et les femmes en smoking. Le parfum est le reflet d’une époque. Puis est arrivé le sida, le parfum est devenu clean et asexué à l’instar de CK One de Calvin Klein. Je ne sais pas ce qu’il va en sortir de cette pandémie. Je peux toutefois imaginer qu’il y aura de la gourmandise, un réconfort qui s’imposait déjà, peu à peu, avant le Coronavirus. Mais aussi de la naturalité, une quête des consommateurs. Les lignes vont être plus fluides, moins construites, moins structurées. Je crois que nous voulons plus de simplicité.
Je crois que c’est justement quand on n’a pas besoin d’expliquer les choses. Le luxe doit se sentir immédiatement et ne nécessite pas d’explication. De la même manière, j’écoute beaucoup de musique classique. Elle me donne des impressions et des émotions abstraites, une émotion liée à mon propre vécu. Si on doit expliquer cela, ça devient louche !
Honnêtement, rien du tout ! Il ne faut pas trop idéaliser ou intellectualiser la chose. C’est comme si vous interrogiez une artiste, peintre ou écrivain. L’art est simplement un moyen d’expression et de communication. Certains le font avec des couleurs, des mots ou des textures. Moi, je m’exprime et je communique avec des odeurs.
C’est très intéressant parce que bien souvent on se rend compte avec du recul que les raisons pour lesquelles on fait tel ou tel métier remontent à l’enfance ou l’adolescence. De manière inconsciente. Certes, tous les enfants passionnés par les trains ne deviennent pas chef de gare. Mais c’est quand même un puissant ciment de la vie à venir. Des actions qui peuvent te paraître anodines ont une certaine logique, rétrospectivement. Entre 10 et 15 ans, j’étais fasciné par les plantes médicinales. Pour le romantisme mais aussi pour la sorcellerie. Cette connivence avec la nature, dont on puise des forces extraordinaires comme des drogues ou du poisson, cela me fascinait. Aujourd’hui, cela a un sens opportun avec ce que je fais. Cette période de la vie est, me semble-t-il, déterminante pour le futur d’une femme ou d’un homme.
Je pense que cela évolue sans cesse. Selon les moments d’une vie. J’aime ce terme de moment. Un moment peut durer, des secondes, des mois ou des années ! Depuis trois mois, j’ai un petit chien. Quand je mets mon nez près de sa truffe, je ressens cette odeur extraordinaire. Qui m’émeut. Aujourd’hui, cette relation avec cet animal de compagnie me touche. J’aime les sensations que cela me procure, l’odeur mais aussi le toucher. On est très loin de l’univers de la haute parfumerie mais c’est en tout cas ce qui me rassure aujourd’hui.
Depuis sa fondation en 1828, la maison Guerlain réinvente son patrimoine au travers de créations originales, à la croisée entre l’amour du parfum et l’amour de l’art. Ces pièces d’exception sont le fruit de rencontres entre artistes et artisans qui excellent dans leur savoir-faire. Aujourd’hui, la maison fait appel à la créatrice de bijoux Begüm Kiroglu pour imaginer une parure pour le Flacon aux Abeilles. Inspirée par l’Orient et l’art ottoman, cette fille de collectionneurs a laissé libre cours à son imagination pour créer un bijou composé d’éléments en résonnance avec l’Occident et le monde de Guerlain. Ce somptueux habillage enferme le nouveau parfum exclusif de Thierry Wasser, le Songe de la Reine. Depuis ses origines en 1853, imaginé pour l’Eau de Cologne impériale, en hommage à l’Impératrice Eugénie, le Flacon aux Abeilles, orné de 69 abeilles en relief, est fabriqué par les verreries Pochet du Courval.
Instagram : @thierrywasser & @guerlain
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